Paroles temps territoires, morceaux choisis

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    1964

    Projection et dialogue avec Benoît Turquety [2011]

    Présentation
    « Almost all our language has been taxed by war. » Allen Ginsberg

    Le travail de Claire Angelini ne cesse de poser problème. L’enjeu en est précisément là : fonder une forme non pas sur des postulats, des principes ou des règles, mais sur une série précise de problèmes. L’un se formule par exemple : qu’est-ce que là où nous marchons ? Un autre : de quoi est faite la langue que nous parlons ? Un autre : comment le mouvement de l’histoire nous traverse-t-il ? Il ne s’agit pas alors de chercher des solutions, mais de faire voir et entendre la complexité, l’épaisseur, des questions. De tenter de les ouvrir, intellectuellement, plastiquement, rythmiquement. Cette opération va requérir une certaine recherche cinématographique, mais aussi et inséparablement géographique – des films comme des cartes toujours trouées.

    Le Retour au pays de l’enfance.

    Le titre laisse peut-être croire à quelque chose que le film donne autrement que l’on pouvait attendre. Le pays de l’enfance ici n’est pas le monde merveilleux issu de l’imaginaire de trois petites filles. Le pays est un pays, avec des frontières, une langue, une armée, des pouvoirs, des vainqueurs et des vaincus. Pays occupé, pays terrible ou pays résistant. Cela faisait une différence ou n’en faisait pas : elles étaient des enfants. Elles sont des femmes ; cela en fait une aujourd’hui. Elles sont parties, le film provoque leur retour, et c’était bien là, ici, qu’elles ont vécu petites filles. Mais quelle signification peut bien avoir cette justesse géographique, si depuis, l’histoire en a fait autre chose ? Si même les traces ont disparu, et les traces des traces, effacées parce qu’à un moment, ici se joua une mauvaise guerre, dont on ne veut plus entendre parler. Retourner à ce pays, ce n’est pas retrouver une innocence perdue ; c’est buter sur des trous, se perdre dans des terrains devenus vagues, trouver qu’il n’y avait pas d’innocence déjà, marcher dans une lumière et des pierres dont le corps a gardé l’empreinte, mais dont l’histoire ne veut plus. C’est voir que la forme d’un corps n’est pas la même selon le lieu qu’il occupe. Que la langue que nous parlons, maternelle, lieu du plus intime, est aussi faite des guerres traversées.

    Par l’eau et par le feu.

    Exploration de quelques modalités de présence de la langue en cinéma, et de quelques formes de la destruction, le film montre des enchevêtrements d’échafaudages, un chantier, dans la ville. Il montre surtout comment un espace peut se trouver radicalement inhabitable. Il montre enfin combien les guerres ne sont pas passées. Combien, au contraire, elles approchent.

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