Jordi Vidal / Walter Benjamin, L’Ange de l’histoire

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    Mercredi 21 mai 2014 à 20h
    La fémis, Paris

    Walter Benjamin / L’Ange de l’histoire

    2014, vidéo, 141 min

    Le film est conçu comme une libre circulation dans les passages théoriques et plastiques explorés par Benjamin dans Paris Capitale du XIXe siècle. À partir d’une flânerie dans les passages parisiens, puis dans l’imaginaire fantasmatique du XIXe siècle à Paris, Walter Benjamin développe une nouvelle pensée de l’histoire. Sa flânerie « de passage en passage », devient une flânerie entre les divers fragments qui composent le Paris du XIXe siècle : c’est l’enjeu d’une métaphore et d’un déplacement plus vaste dans l’histoire et dans la mémoire.

    La voix-off, entièrement composée d’écrits de Benjamin, traduit, à la première personne, son errance physique et intellectuelle dans le vieux Paris ; elle rend visible la constellation des thèmes qui vont venir contester l’image historiciste de Paris au XIXe siècle et plus globalement encore de l’histoire elle-même.

    Au fil du film, au fil d’une « dérive sous contrôle » Walter Benjamin aborde des sujets qui jusqu’ici étaient toujours considérés de manière séparée : les expositions universelles, le vieux Paris, Baudelaire, Atget, les boutiques, le monde des reflets, les cafés, le jeu, les passages, les travaux d’Haussmann, l’architecture en métal, les grands magasins, la mode, la prostitution, l’intérieur bourgeois, le collectionneur, le jouet, la publicité, la Bourse, les barricades, les utopies révolutionnaires.

    Benjamin met en perspective la marchandise, les vitrines et les miroirs ; il questionne le Paris d’Haussmann (percées, démolitions), les grands magasins, la Bourse, les chemins de fer, les rêves d’avenir et les barricades ; il confronte les constructions de fer et les expositions universelles à la Commune de Paris ; il établit des liens entre la théorie du progrès, l’ennui, l’oisiveté, Baudelaire et l’éternel retour ; il formule les notions de rêve et de réveil à partir d’une déambulation dans une ville et des maisons rêvées.
    Sa nouvelle approche du temps et de l’histoire le conduit à une théorie critique qui reformule entièrement les termes de la modernité, du progrès et de la culture exposés à la barbarie. Il confronte l’histoire de la photographie aux questions de la reproductibilité des œuvres d’art, de l’aura, de la trace, de l’image dialectique. Il récuse l’historicisme au nom de la remémoration qu’il oppose à la mémoire ; au nom du réveil qu’il oppose à la catastrophe.

    Le film, Walter Benjamin / L’Ange de l’histoire, est organisé comme une déambulation en spirale. Il donne à voir et à comprendre, au nom du passé vaincu, le XIXe siècle parisien et tout autant notre XXIe siècle. Les images qui composent le film ne sont plus seulement des images du passé, mais des images du présent : d’un présent en péril.

    Le film montre le philosophe et le poète dans son monde : sa pensée est appréhendée comme un édifice composé d’innombrables archives dynamiques qui rassemblent des photographies et des fragments de films. On y trouve les photographes qui influencèrent l’ensemble de sa recherche, et qui déterminent notre film : des anonymes, Aguado (Olympa), Atget (Eugène), Baldus (Édouard Denis), Bayard (Hippolyte), Belloc (Auguste), Bergon (Paul), Bisson (les frères), Brassaï, Cameron (Julia Margaret), Canellas (Josep-Maria), Caneva (Giacomo), Chauvassaignes (Franck François Genès), Cornelius (Robert), D’Olivier (Louis Camille), Daguerre (Louis), Dauthendey (Karl), Degas (Edgar), Drtikol (František), Durandelle (Louis Émile), Durieu (Eugène), Eakins (Thomas), Evans (Walker), Fenton (Roger), Frank (Eugène), Freund (Gisèle), Gimpel (Léon), Gloeden (Wilhem), Gros (Jean Baptiste Louis), Heid (Hermann), Hill (David Octavius), Humbert de Mollard (Louis Adolphe), Hunt (Robert), Igout (Louis Jean Baptiste), Koch (Max), Krull Germaine, Le Bègue (René), Le Blondel (Alphonse Bon), Le Gray (Gustave), Le Secq (Henri), Lebel (Edmond), Londe (Albert), Macpherson (Robert), Marconi (Gaudenzio), Marey (Étienne-Jules), Marlé (Charles Alphonse), Marville (Charles), Moulin (Félix Jacques Antoine), Mucha (Alfons), Muybridge (Eadweard), Nadar, Nègre (Charles), Neurdein (les frères), Niepce (Nicéphore), Oehme (Gustav), Piazzi Smyth (Charles), Pierson (Pierre-Louis), Plüschow (Wilhelm von) Rejlander (Oscar Gustav), Richebourg (Pierre Ambroise), Richer (Paul), Robinson (Henry Peach), Sands (Albert), Seeberger (les frères), Sert (Josep Maria), Simart (Charles), Stelzner (Carl Ferdinand), Stone (Sasha), Talbot (William Henry Fox), Valou de Villeneuve (Julien), White (Clarence), Zille (Heinrich).
    On y trouve des fragments des frères Lumière, d’Edison et quelques trésors que nous devons au génial Méliès.

    Les archives dynamiques qui composent le film expriment au plus près l’engagement révolutionnaire, les idées, les intuitions, les contradictions et les divers projets théoriques du philosophe poète. Il s’agissait donc pour moi de montrer la cohérence d’une pensée qui, à l’inverse d’une lecture postmoderne de l’histoire, organise les fragments comme des moments constitutifs d’une projet unitaire ; d’une pensée qui retourne la dialectique négative en mettant en avant la part positive du travail du négatif ; d’une pensée qui suppose un rôle messianique pour chacun ; d’une pensée qui nous fournit les armes nécessaires pour que choses ne continuent plus comme elles sont. Au nom d’un passé vaincu, au nom d’un passé qui n’est cependant jamais le même de par son histoire postérieure et son histoire antérieure, bienvenu dans ce retour vers le futur.

    Jordi Vidal, mars 2014

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