Manifesto 4

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    Par Vincent Dieutre
    Avril 2000

    Pourquoi suis-je si mal à l’aise dans le cinéma ? Qu’est-ce qui, au fond, ne va pas ? Fort d’un système de commissions d’aide à l’écriture, d’avance sur recettes, d’aide après réalisation, unique en Europe, le “jeune cinéma français” n’est-il pas l’exemple même de la vitalité et de la créativité ? D’où vient alors ce sentiment de redite, d’académisme du bon sentiment, de stagnation formelle, qui m’étreint dès qu’il s’agit, hors des enthousiasmes
    hâtifs de sortie de salle, d’établir ce qui émeut vraiment, ce qui bouleverse nos habitudes ? Je ne sais pas.

    La dictature persistante du scénario écrit, du synopsis, la prépondérance désuète de l’actorat, la frilosité structurelle des commissions, la peur de l’échec… toutes ces certitudes rassurantes qui font qu’on préfère spéculer à la baisse, entretenir des formes obsolètes, mais continuer et se réconforter les uns les autres dans la chaleur rassurante du bon droit, de la correction politique et des succès inopinés. Au-delà de toute évaluation critique, il s’agit donc de rétablir le cinéma, l’audiovisuel même, dans toutes ses fonctions. Car, un peu partout, la fronde s’enhardit.

    Moins sommés à la rentabilité immédiate, les artistes contemporains ont vite réalisé l’espace inouï de liberté que leur laissait les cinéastes, engoncés dans les formes traditionnelles, et voués à l’édification sociale d’un public de plus en plus rétif. Confrontée, elle aussi, à une crise du support, une nouvelle génération d’artistes s’empare d’un côté, du
    cinéma comme corpus, voire comme matériau, et de l’autre, de la caméra (vidéo ou autre) comme instrument pour investir un espace-temps fragile, absolument moderne et, avouons-le passionnant…

    De la mise en scène de soi, à l’exploration du cinéma et de la télévision comme inconscient collectif, c’est tout le travail d’introspection du sujet (l’auteur) ou sur l’objet (l’image animée) que prend désormais en charge l’art contemporain, en toute impunité. Souvent isolée, la théorie diffuse des réalisateurs qui, du côté du documentaire de la création et de la fiction, cherchent eux aussi à opérer un renouvellement des formes, à quitter le réalisme social pour l’élaboration d’un nouveau langage critique du réel, n’a pas vraiment pris conscience des propositions récentes de l’art contemporain. Ce clivage, qui sans doute,
    arrange bien du monde, Point Ligne Plan est là pour tenter d’y mettre fin.

    Comme nous le rappelle le texte de Pascale Cassagnau, les relations bilatérales entre art contemporain et cinéma ne datent pas d’hier. Ce qui se manifeste, c’est l’invention d’un domaine autonome où les positions de cinéaste et d’artiste deviennent interchangeables, et les objets (vidéos, installations, films), comparables. La mise en présence, dans le cadre des projections Point Ligne Plan de démarches que “tout” sépare à priori, inaugure une réflexion transdisciplinaire d’urgence. Ce “tout” n’est souvent qu’une construction sociale, politique et esthétique, qui maintient chaque créateur dans les pratiques usuelles de son milieu. Le soclage socioculturelles des oeuvres empêche le plus souvent un travail critique en profondeur dont artistes et cinéastes ont cependant le plus grand désir. Avec le soutien d’une structure comme le GREC, d’une école de cinéma comme La fémis et d’une institution comme la DAP, les rencontres Point Ligne Plan ont pour but de donner à ce nouveau domaine encore incertain, un lieu de diffusion, de rapprochement, d’expérimentation, et d’y amener un public régulier. L’intérêt évident de ce qui a déjà été fait laisse croire que notre intuition avait un sens. C’est là, entre art contemporain et création audio visuelle, dans l’espace de la salle et le temps de la projection, que se dresse en douce, l’inventaire des émotions neuves.

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