À propos de Rene O.

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    2030

    par Olivier Pierre [2005]

    OP : Quelle est la nature de ce projet “Rene O.” un portrait ?

    TB : Un portrait qui se construit au travers d’autres portraits. René Orduna fait un retour sur une période de sa vie où il voyageait continuellement dans les États-Unis. Sa parole se construit autour de la mémoire de lieux, de
    personnes, de caractères, d’émotions.

    OP : Quelle est l’importance de la durée dans la première séquence ?

    TB : À ce moment du tournage notre seul accord était que je filme René dans les activités qui précédent l’ouverture du restaurant. Je le suivais. J’ai tenu à ce que cette séquence ne se cantonne pas à une fonction introductive.
    Elle devait prendre suffisamment d’importance, d’une part pour porter sa propre énigme, d’autre part pour pouvoir être ré-appréhendée une fois le film lu dans sa totalité. C’est une tentative de faire échapper le temps du film à sa durée de consommation.

    OP : Le film se compose de deux parties distinctes qui cependant se répondent.

    TB : Elles dialoguent chacune sur des modes différents. La deuxième partie, dans laquelle René raconte, est construite sur un mode qui tente de lier entre eux des moments de tournage très espacés, les plans sont d’une certaine manière recomposés afin de créer une nouvelle unité de temps dirigée par les impératifs narratifs.
    La première partie est montée en faux raccords, ainsi René part dans sa camionnette vêtu de sa combinaison Ford pour revenir en anorak avec un bonnet sur la tête en enfilant ses gants. Outre l’interrogation que cela peut induire sur la durée de son périple, cet événement peut s’expliquer plus tard dans le récit par son goût du travestissement, par exemple.

    OP : Le film semble utiliser des lieux communs de l’imaginaire cinématographique américain, un genre, le road-movie, des signes, le logo Ford, un décor, le restaurant, pour permettre à cette parole d’advenir, de trouver son cadre.

    TB : J’avais cette possibilité de revisiter des archétypes, ils m’étaient proposés en tant que tels. Le road-movie comme la combinaison Ford peuvent être interprétés comme une référence à l’ouverture de “The Misfits”, puis prendre progressivement une connotation “Village People”. L’intérêt était que sans être contradictoires, les interprétations soient cumulables.

    OP : Le travail sur l’image est assez complexe : on a l’impression d’une vibration de l’image, comme si plusieurs plans, plusieurs temps, se superposaient et vivaient dans cette séquence de souvenirs d’une époque.

    TB : J’ai pensé utiliser la séquence de la camionnette comme une matrice pour le montage de la seconde partie. Je me suis inspiré des variations lumineuses dans le véhicule pour attribuer à la fenêtre du restaurant le rôle d’un diaphragme. Elle fait varier la lumière vers l’obscurcissement au moment des coupes dans l’image, il en résulte une continuité artificiellement retrouvée par un mouvement de l’extérieur sur l’intérieur.

    OP : Le dispositif de l’entretien même entretient l’illusion d’un flux de paroles continu à travers les réminiscences de René Orduna en travaillant sur la désynchronisation de l’image et du son.

    TB : Dans un premier temps, je n’ai pas travaillé le son et l’image simultanément. De fait, un point de coupe dans le son correspond à deux pistes d’images, l’une synchrone, l’autre asynchrone. En terme de fabrication l’image se synchronise ou non. Cette méthode permet à la voix d’onduler, d’effectuer des glissements. Je voulais éviter l’effet solennel de la voix off tout en conservant le rapport parole-mémoire.

    OP : Votre démarche est à la fois documentaire et plasticienne : jouer du réel en travaillant l’artifice.

    TB : Sans doute, mais ce jeu est avant tout un principe de vie qu’il faut attribuer à René Orduna.

    OP : Quelles sont les conditions de production du film ?

    TB : Il n’y a pas de producteur, mais des contributions individuelles, comme celles de Richard Squires, de Dominique Auvray, de Mickael Barre, de René surtout. J’ai également bénéficié du soutien financier de David Clark pendant le tournage puis d’une aide du Ministère de la culture pour la postproduction.

    *Édité dans le journal du Festival International du Documentaire de Marseille du 05/07/05

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