À propos de 200%

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    2022

    Entretien avec Nicolas Feodoroff [2001]
    Paru dans le journal du FIDMarseille

    L’origine de votre projet ? Les conditions de production ?
    – Nicolas et moi on se connaît depuis longtemps. On s’est retrouvés à plusieurs reprises dans les mêmes aventures : résidence, édition, diffusion, tournage etc. Là, disons qu’on avait envie de faire à deux un film sur la banlieue. Un film dont les acteurs ne seraient pas filtrés par les effets sociologiques connus de la culture.
    – Nous voulions travailler en « BANLIEUE », convaincus du terrain fertile, humain et politiquement grave.
    – Une chose a agi pour moi comme déclencheur de ce projet de film : une visite un jour au Palais de Tokyo. Le Palais de Tokyo étant un lieu d’art contemporain, le visiteur y est attentif à beaucoup de choses, plus que dans un musée plus classique. Là, on sait que tout peut faire sens. Non seulement les oeuvres, mais aussi le contexte, même les visiteurs de l’expo peuvent être de faux visiteurs, etc. donc quand on visite, on est à l’affût, sur le qui-vive, quoi ! Or ce jour-là, l’organisation humaine au Palais de Tokyo était la suivante : à l’accueil, les gars de la sécurité et les pompiers ressemblaient à des arabes, les visiteurs et les guides ressemblaient à des blancs, et les 4/5ème des cuisiniers à des noirs. Je crois avoir bien compris le message. Pour ce qui est de la production, on a présenté le projet à Anne Giffon du CAP de Saint- Fons, (banlieue sud de Lyon) qui a dit « Banco ! » sur les chapeaux de roue. Le film a donc été produit dans le cadre d’une résidence d’artistes.
    – Un film « en résidence », ce qui sous-entend des moyens minimes, surtout beaucoup de bénévolat, une équipe technique réduite (7 personnes), une dizaine de jours de tournage : le projet a duré en tout un peu plus d’un an.
    – Oui, on a eu des conditions de production plutôt arts plastiques que cinéma. Mais compensées par plein d’aspects humains et notamment un soutien incomparable de l’équipe du Centre d’Art ! Incomparable !

    C’est un film avec un grand « casting ». Le recrutement ? Vos choix ?
    – Du coup oui, le casting, on s’est lancés dans un grand casting, on voulait avoir un maximum d’acteurs et d’actrices ! Faire une grande fresque de la banlieue ! C’est extraordinaire les castings, d’une densité humaine, très chouette ! En plus, nous, on avait décidé de prendre tout le monde.
    – La ville de Saint-Fons est composée de 3 quartiers, nous avons fait un casting dans chacun des quartiers pour toucher des types de population différents. A chaque casting, nous avons accueilli environ 100 personnes et nous avons pris systématiquement tout le monde ! Pour les plus habiles, les rôles principaux, les autres, figurants. En plus nous avons donné des ateliers « cinéma » dans les écoles du quartier des Clochettes ce qui nous a permis d’entrer en relation avec beaucoup d’enfants et de pénétrer vraiment le coeur d’un quartier. Pendant toute l’aventure (repérage, écriture et tournage), une réelle communauté s’est créée autour du projet.
    – Et puis on a eu des super actrices et acteurs. C’est un avantage merveilleux des films par rapport à d’autres disciplines, on peut travailler avec presque tout le monde. Et ça marche ! C’est plus ouvert que le lancer de javelot ou la haute couture !

    Pourquoi cette structure “marabout de ficelle” ?
    – Cette structure narrative apportait la solution à 2 ou 300 de nos problèmes en même temps, dont voici trois exemples. Pour notre projet de grande fresque, il fallait qu’on puisse voir du pays, beaucoup de gens et de situations. Qui plus est, lorsqu’on réalise un film participatif avec des acteurs bénévoles, c’est mieux de changer souvent de personnages, de multiplier des scènes courtes, la participation au tournage est plus répartie, donc plus brève pour chacun, plus mesurée. Cette structure en culbuto permet de souligner le caractère très relatif de l’identité des personnages et des lieux. Les gens sont toujours partagés entre une vie familiale et une vie avec des amis, ou leur soeur, ou au travail, etc. dans chaque cas, ils n’apparaissent pas de la même manière, ils n’agissent pas selon la même logique. D’autant qu’en banlieue habitent pas mal de gens à double ou triple culture. La banlieue elle-même est un espace ambigu : d’un côté, on dirait la quintessence de l’urbain, c’est souvent de la construction récente, de la ville à l’américaine. Et en même temps, c’est déjà la campagne ! Tout le monde connaît tout le monde, il y a de la verdure, des arbres, des oiseaux, des armes… Et enfin ce principe permet de faire de la fiction sans se taper le côté lourd qui consiste à suivre un seul récit (ce qui pour ma part aurait vite fait de me décourager), il y a tellement et tellement de manières autres de construire des récits ! Le marabout de ficelle, c’est à la fois souple et costaud, comme de la chaîne de vélo.
    – Pour écrire le scénario, nous avons arpenté le territoire de Saint-Fons avec un appareil photo entre la vallée de la chimie et différentes cités, et rencontré beaucoup d’habitants, ou d’acteurs «sociaux » ou culturels. Chaque fois, des scènes nous apparaissaient, et le scénario « marabout» est un moyen de tout ficeler. Ici il nous fallait un scénario où l’on puisse mettre un maximum d’idées. Chacun dans notre expérience de faire des films, nous avons renoncé à raconter des histoires de manière classique, nous avons chacun expérimenté des formes différentes de déstructuration. Le marabout était donc un aboutissement logique à notre désir de faire un « long métrage » ensemble.

    Y a-t-il une part d’improvisation ?
    – Oui, bien sûr, mais elle n’a pas été déterminante.
    – Après les castings, nous avons organisé une série d’ateliers, où nous avons fait répéter le texte aux acteurs, testé différentes mises en scène, costumes, accessoires… pour gagner un maximum de temps pendant le tournage.

    Comment s’est faite l’écriture des dialogues ?
    – C’est un grand plaisir la langue de banlieue, vocabulaire très riche, très varié, langue très orale, très tonique ! Avec une grosse quantité de vannes, un régal à faire tourner ! Pour que ça accélère un peu, on a rajouté des œufs de Pâques : on a mixé dans cette langue des idées et des propos de divers horizons et donc des niveaux de langage très variés aussi – sociologie, interviews de rappeurs, de commerçants dans le bizness, philosophie, forum de religion, films – en fait, on s’était un peu documenté aussi.

    Une critique sociale qui mène à des situations de plus en plus débridées, et une caméra assez posée ? Un choix préalable ?
    – Oui, bien résumé. Il y a effectivement une progression dans le film vers des situations plus hirsutes, plus fabuleuses, certaines scènes de la fin ressemblent à des extraits de contes. Ça permet de proposer des points de vue surprenants sur le monde. D’autant que – à titre personnel – ce qui m’intéresse aussi c’est la couche sous-jacente, par exemple toute la bienveillance à l’œuvre en banlieue, institutionnalisée ou pas d’ailleurs, les conseils, les bonnes intentions, le souci constant que tout se passe bien, qui peut donner envie de faire du mauvais esprit quand on en a marre de ne jamais pouvoir être seul. Et ce genre de couche se manifeste quand on fait fonctionner la fiction à plein régime, selon ses propres lois. Mais critique sociale, je ne sais pas, c’est pas évident le sens du mot. Aujourd’hui la critique sociale (au sens de critiquer le groupe social, quasiment de ne pas pouvoir le supporter), la critique sociale la plus forte et virulente vient des entreprises, du pouvoir politique et des médias de masse. Quel acharnement, quel niveau de délire ! Nous, en comparaison, je crois qu’on n’est pas loin du minimum, ça n’est pas un film militant, ni peut-être si imaginatif que ça, comparé à n’importe quel journal télévisé.
    – Exploser les clichés sur la banlieue que les médias ressassent, en parler différemment, déplacer les éléments, faire la morale en étant dans une logique complètement fantastique, casser des voitures lors d’une fête de la voiture ou d’une évocation illustrative d’un schéma du code de la route.
    – Ensuite, pour la caméra, oui, elle est assez frontale, faisant des cadres, posément. Ça correspondait bien aussi avec notre souci d’efficacité au tournage. On devait faire le film en 11 jours.

    Le titre ?
    – Est international.

     

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