Manifesto 2

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    par Christian Merlhiot [2000]

    Les soirées Point Ligne Plan ont lieu depuis deux ans avec le soutien du Groupe de recherches et d’essais cinématographiques. L’intérêt de ces projections, à l’origine,
    était de faire découvrir les films de cinéastes et d’artistes subventionnés par le GREC1. Depuis cette année, dans le cadre d’un partenariat avec la Délégation aux arts plastiques, nous avons étendu la programmation à des films d’artistes soutenus par la DAP ou acquis dans les collections publiques2. Par delà ces lieux, Point Ligne Plan a pour vocation aujourd’hui d’inviter des artistes à présenter un travail qui témoigne, à nos yeux, d’une approche intéressante et singulière d’un cinéma après le cinéma3. Quel que soit leur support, ces oeuvres interrogent un imaginaire commun et balisent un territoire élargi où circule et se réfléchit l’idée du cinéma. Dans sa brève histoire au regard de l’art, l’industrie du film a toujours généré des marges où s’inventaient ses projets les plus audacieux où les plus provocants. À la mesure de sa vitalité économique, ce territoire, aujourd’hui, semble l’avoir désertée. Comme laboratoire de recherches et moteur de la création, les avant-gardes des années 1920-1930, le cinéma expérimental, le cinéma underground ont fortement marqué en retour l’imaginaire et les formes du cinéma populaire.

    D’où vient qu’aujourd’hui, le cinéma ne semble plus être en phase avec lui-même ? D’où vient que les films, en l’espace d’une ou deux décennies, soient devenus des objets autonomes et dissociés des enjeux de la littérature, du théâtre ou de l’art contemporain ? Comment le cinéma peut-il encore interroger notre relation au monde s’il continue de se couper des lieux de réflexion de l’art et de se penser comme une langue morte ? Pourquoi cette persistance de l’histoire sous ses formes les plus désuètes et littérales, cette persistance du sujet, social ou politique quand il semblait entendu que notre sujet c’est le discours, pas l’histoire, notre histoire la politique pas l’économie. Pourquoi les cinéastes ont-ils renoncé si vite, si tôt, à se donner les moyens d’une véritable politique des films et du cinéma ? Des films, il y en a toujours, il y en a même beaucoup mais la moindre pensée de cinéma semble les avoir désertés. Quelques figures de résistants sont occasionnellement glorifiées pour célébrer l’imposture d’un cinéma émancipé et intelligent, mais combien de films dialoguent avec Mouchette, La mort d’Empédocle ou Le camion.

    Et que peut faire Point Ligne Plan ? Rien sans doute et c’est très bien. Un certain cinéma célèbre en famille son engloutissement certain. Et puisque nous sommes quelques-uns à nous ennuyer devant ce crépuscule, nous cherchons ailleurs le plaisir des images. Peu importe que le cinéma comme support y soit de plus en plus rare, le cinéma comme intelligence et comme expérience y est bien présent. C’est ce qui importe en définitive : le cinéma n’a pas servi à rien, les images qui nous regardent aujourd’hui se souviennent des utopies d’hier et dans leur voyage, cet exil du cinéma vers d’autres lieux de l’art, son imaginaire tout entier est remis au travail.

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